Alain Daniélou et la danse (1927-1937)

Alain Daniélou et la danse (1927-1937)

Je comprends que vous cherchez tout à fait autre chose que nous dans votre danse. Alors que nous cherchons une forme plus décorative et symbolique vous cherchez une expression directe de sentiments humains et de forces naturelles. Je crois avoir bien compris l’intensité de votre expression.

Commentaire du poète Rabindranath Tagore, Prix Nobel de littérature (1913), à la suite d’une présentation par Alain Daniélou de son répertoire de danses. Ecole de Shantiniketan (Bengale), années 30.

La danse comme moyen d’extériorisation du sentiment musical m’attirait beaucoup. A cet intérêt s’ajoutait le rêve narcissique de manifester mon harmonie physique. La danse est, dans le monde chrétien, le seul domaine où le corps humain est mis en valeur et glorifié. Le sport, à l’époque, n’avait pas le côté spectaculaire qu’il a pris depuis. Dès ma quinzième année, je pratiquais seul des tentatives d’interprétation et je faisais des exercices d’assouplissement très poussés. J’avais montré mes tentatives à quelques amis qui m’encouragèrent à me perfectionner. Aussitôt que je l’ai pu, j’ai assisté à tous les spectacles de ballet: les ballets russes, les ballets suédois, mais aussi ceux de l’école allemande, de Laban, de Mary Wigman.

La chance voulut que les filles de Bronislava Nijinska soient élèves dans l’institution de ma mère, qui avait trouvé cette personne très convenable et de plus célèbre, ce qui comptait beaucoup. Elle ne fit donc pas trop d’objection lorsque son imprévisible fils alla trouver Nijinska. J’avais déjà vingt ans, ce qui semblait un peu tard. Pourtant, elle voulut bien s’intéresser à moi et me plaça dans l’école de Legat, le fameux professeur de Nijinski, qui donnait ses cours dans le studio Wacker, place Clichy. Après un bref épisode de service militaire, j’ai été transféré à Paris et j’ai repris aussitôt les cours de Legat. Ce fut une période de travail intense. J’acquis en quelques années une assez bonne technique classique. Mes deux tours en l’air impeccables, des entrechats-six faciles, des jetés-battus élégants. En dehors des classes, je travaillais plusieurs heures par jour jusqu’à épuisement. J’ai suivi aussi des cours de danse acrobatique dans le gymnase de Saulnier à Montmatre où travaillaient les filles du fameux quadrille du Moulin-Rouge. C’était un milieu sympathique, merveilleux de gentillesse et d’entraide. J’y ai apprécié les profondes qualités humaines de ces filles soi-disant de mauvais vie, si différentes des jeunes filles du monde, frustrées et perfides, qui m’effrayaient ainsi que des énigmatiques « demoiselles » de l’entourage de ma mère…